Après plusieurs mois d'apparence de pluie et de gris à Lima, même un trajet de plusieurs heures de bus pour découvrir une ville peu connue des touristes est attrayant. Ce petit périple de 3 jours nous permettra de nous éloigner de la capitale et de découvrir une des régions les plus pauvres du Pérou, où le salaire annuel peut être aussi bas que 500 soles par année (185 $ CAN). Ayacucho, la capitale, est une ville riche en culture et remplie de gens marqués par l'histoire. On la quittera plus tard en se demandant combien de temps encore elle pourra survivre sans l'apport de la modernité.
Il est 16 h 30 lorsque la compagnie d'autobus avec laquelle nous partions pour Ayacucho nous appelle pour nous aviser que notre départ tardif à 22 h 15 est annulé. Des paysans andins bloquent une route pour contester la décision du Président Humala qui veut légaliser l'exploitation de la feuille de coca. Cette décision entraînera l’éradication de plusieurs milliers d'hectares, gagne-pain de plusieurs d’entre-eux. Nous évitons donc une situation précaire avec les enfants grâce au service à la clientèle d’une entreprise péruvienne (qui l’aurait cru, certainement pas nous). Merci Cruz del Sur!
19h00. Nous recevons un autre appel pour nous aviser que la route est débloquée à la suite d'une entente entre les paysans et le gouvernement. Je suis perplexe. J'essaie de vérifier les informations sur Internet et je ne trouve rien. On prend une chance et on fait nos bagages. À 21 h 15, un taxi vient nous chercher. Arrivés à la gare de bus, on débarque pour se rendre compte qu'on a oublié un sac à dos dans le taxi .... contenant, évidemment, notre caméra... Frustration momentanée, accusations mutuelles entre adultes, pour conclure qu’on devait la changer bientôt. Les photos affichées dans ce billet ont donc été prises avec le Iphone de JP et la qualité peut laisser à désirer.
10 heures de bus de luxe direction Ayacucho. Bourgade coloniale d’environ 150 000 habitants, intouchée par le capitalisme, juchée à 2700 mètres d'altitude et ou un habitant sur deux parle encore le Quechua. Aucun centre commercial, Home Center ou supermarché à grande surface. C'est mon coup de cœur. Elle vaut le détour pour ceux qui veulent connaître un pays et non seulement ses attractions touristiques. Plusieurs rues pavées de pierres rondes rayonnent autour d’une place d'Armes entourée d’arches de pierres et d'anciennes demeures coloniales. En marchant avec les enfants en toute sécurité, on peut ressentir le pouls de la ville et de ses habitants.
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Vieil édifice de pierres |
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Vue de la terrasse de notre petit hôtel |
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Rue pavée |
Peu d'étrangers se rendent à Ayacucho puisqu'elle est mal reliée aux autres villes andines du Nord et du Sud. La longue route est pénible et sinueuse, armez-vous de Gravol! Les enfants ont d'ailleurs été malades tout juste avant d'arriver. Je n'arrive pas à dormir, la conduite brutale nous projette de gauche à droite, sans compter les freinages fréquents pour éviter les collisions. Je nous imagine plonger tout à coup dans le ravin qui longe le trajet.
Cette région du Pérou a longtemps été évitée par les Péruviens puisqu'elle symbolisait la terreur. C'est dans les années 1970 qu'un professeur de philosophie de l'Université d'Ayacucho, Abimaël Guzman, a fondé le Sentier Lumineux, un mouvement maoïste révolutionnaire, qui s'est transformé en guérilla armée avec comme objectif de renverser le gouvernement. Le département d'Ayacucho a été, de loin, le plus frappé de tout le Pérou par le terrorisme de ce mouvement et les actes de violence des escadrons spéciaux de l'armée : plus de 10 000 paysans assassinés, 3000 disparus, 50 000 orphelins et 170 000 personnes déplacées. 35 % de la population de la ville a été directement et personnellement touchée et meurtrie. Des partisans de ce mouvement guérilléro agissent toujours clandestinement dans la région. J'ai questionné plusieurs collègues avant de partir pour m'assurer que ce n'était plus dangereux. Évidemment, quelques endroits sont à éviter mais la ville a retrouvé il y a quelques années sa tranquillité. Pour en savoir davantage sur les années terroristes : http:/wikipedia.org/wiki/Sentier_lumineux/fr.
On dispose de 3 jours pour visiter la ville et ses environs. Avec les enfants, on demeure limités dans nos visites : « J'ai envie», « j'ai faim », « je suis fatigué », « non, je veux rester ici ». Il y a aussi ma préférée : Adam qui demande « raconte-moi l'histoire de Jésus » chaque fois qu'on entre dans une église. Il y en a 33 à Ayacucho. On en a visité quelques-unes seulement, mais, à chaque fois, il demande l’explication du Chemin de Croix puisque les images peintes varient d’une église à l’autre. Je me dis que je devrais regarder de nouveau Jésus de Nazareth pour me remémorer la chronologie des événements et les noms.
La première journée est relaxe. C'est stratégique puisqu'il faut récupérer de la dure nuit dans le bus. Ayacucho étant reconnue pour son artisanat, on se rend au marché Santa Ana pour y rencontrer un artisan réputé internationalement qui travaille la pierre de Huamanga. Il est là avec un de ses 6 fils. Seul le père sculpte à temps plein, ses fils sont tous professionnels et dédient leur passe-temps à la sculpture sur pierre. Les pièces sont magnifiques. M. Julio Galvez Ramos, homme très simple malgré son succès international, nous accueille chaleureusement dans son atelier. Il invite Adam et Madeleine à s'initier à ce travail minutieux. Les enfants s'en donnent à cœur joie pendant que nous, enfin tranquilles, faisons le tour de la boutique pour admirer et acheter quelques pièces. À visionner :
http://www.crespial.org/Es/Videos/Detalle/0021/julio-galvez-ramos-a-talla-en-piedra-peru 


La deuxième journée s'annonce plus difficile. On loue les services d'un chauffeur et d'une guide pour nous amener à 4 heures d'Ayacucho visiter une petite forêt de Puya raimondii, les ruines intihuatana et Vilcashuaman. On vient nous chercher à 6 h à notre hôtel. Après 1 h 30 de route, on s'arrête dans un petit bled pour déjeuner d'une bonne soupe au poulet et nouilles accompagnée d'un bel œuf dur, coquille incluse ! Les enfants ne disent rien et la mangent avec le même appétit que si c'était un bon toast au beurre de peanut! Le chat affamé en-dessous de la table est bien content de recevoir les restes de poulet. Des chiens rôdent autour pour recevoir la même attention mais sont chassés par la propriétaire. La journée est longue mais intéressante. Les enfants nous surprennent à chaque fois. À part quelques chicanes « normales », on ne les entend presque pas.

La Puya raimondii est l'une des plus grandes plantes à fleurs du monde. Cousine de l'ananas, elle peut atteindre plus de 10 mètres de haut. Sa croissance, très lente, peut demander un siècle. La plante meurt après une floraison unique, donnant plusieurs milliers de fleurs blanches. Les rameaux des Puya raimondii comportent des épines auxquelles les moutons s’accrochent. Prisonniers, ils se débattent pour être agrippés par les ramaux supérieurs. Incapables de se libérer, ils sont abandonnés par le reste du troupeau. C’est pour cette raison que les paysans brûlent la base du tronc de l’arbre qui survit sans problème.
Un lac en forme de Puma, créé artificiellement à l'époque inca, surplombe les ruines intihuatana
Source de purification datant des sacerdotes incas
Ce vestige inca de Vilcashuaman fait des jaloux. On aimerait bien l'avoir à Cusco, puisqu'il est unique en son genre au pays. Vilcashuaman fut une ville de contrôle administrative et de diffusion de la culture et de l'idéologie inca. Le village actuel du même nom est situé à 3 470 mètres d'altitude et compte environ 1000 habitants.
Faute d'investissements publics et/ou privés, ces pierres sont entassées ici puisqu’on ne sait pas ou elles étaient situées. Le site est malheureusement accessible à toutes et tous; il n'existe à ce jour aucun plan pour sa restauration et sa protection.
La population a construit ses maisons près d'un des murs sans considération historique. Plusieurs pierres du site ont d'ailleurs été pillées par la population pour la construction de leurs maisons.
Mur de pierres datant du 14e siècle, en plein cœur du village. L'Église a été construite au 15e siècle par les Espagnols sur les fondations incas du Temple du Soleil et de la Lune.
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Assise sur le parvis de l'Église |
La troisième journée nous mène, par une jolie route, à Quinoa un village situé à 3 300 mètres d'altitude. On traverse de belles forêts de cactus (poire cactus) pour s'y rendre. La route est toujours aussi sinueuse et je me demande, aux nombres de dépassements par la gauche que le chauffeur a initié, pourquoi on n'a pas fait de face à face. Seul un coup de klaxon avant la courbe prononcée averti la voiture qui vient du sens opposé. Le klaxon me semble bien inutile à 80 km à l'heure avec 2-3 voitures à dépasser.
On se rend dans le champ ou s'est déroulée la bataille d'Ayacucho, le 9 décembre 1824. À notre arrivée, un jeune garçon persistant d'à peine 10 ans nous accroche pour nous réciter sa leçon d'histoire apprise à l'école. On le regarde éberlué, sans oser couper le flux interminable de dates et de citations intégrales des commandants ayant participé à la bataille « Soldados…. ». On lui donne 5 soles (environ 1,50$) pour le remercier et le féliciter de sa prestation articulée et intéressante.
Une randonnée à cheval, l'activité tant attendue des enfants, nous mène à une petite chute.
Au retour de cette balade aux paysages toujours aussi impressionnants, on s'approche des petits kiosques en plein air ou des femmes vendent leur artisanat et d'autres y offrent leurs spécialités culinaires.

JP et Adam mangent un cuy (cochon d'Inde). Adam, toujours aussi curieux, dissèque la partie supérieure avec plaisir en demandant à plusieurs reprises « est-ce que ça se mange ça ? ». C'est lorsqu’il m’interroge de nouveau avec un minuscule œil entre ses doigts que j'interviens. Les chiens assis à coté acceptent gracieusement l’offrande. Pour ma part, une vieille dame m'appelle « Mamita, mamita, veux-tu goûter à mon yuyu picante» ? Ça ne me tente pas du tout de manger son plat de patates et de yuyu, plante sylvestre qui ressemble à des épinards. Mais bon, je me résigne, surtout que ça me coûte 75 cents. Elle me sert un gros bol (trois portions normales) que je partage avec Madeleine. Le reste ira discrètement aux chiens qui assurent la propreté des lieux. Le dîner est « le » repas au Pérou. Les portions de féculents sont gigantesques (riz, patates, maïs) et bourratives, elles permettent aux gens de passer la journée et la nuit. Au souper, les gens boivent du thé ou du café mais mangent très peu. Dans la région, il ne pousse que maïs et patates (600 variétés juste à Ayacucho). Ici, plusieurs cultivent à la main ou à l'aide de bœufs, dans un sol difficile de terre dure et rocailleuse.

On se rend à l'obélisque qui commémore la bataille d'Ayacucho en ayant toujours en tête l'intonation du jeune garçon mais en ne se rappelant ni les dates, ni les noms de ceux qui ont participé à la victoire.
Adam et Madeleine se lient d'amitié avec un enfant et son agneau orphelin. C’est le petit garçon et sa mère qui le nourrissent au biberon.
Forts de ces belles expériences, un mototaxi nous ramène à Quinoa, réputé pour son artisanat. On y achète quelques pièces uniques de la place et on reprend un colectivo (taxi de groupe) jusqu'à Ayacucho. Une autre excusion rapide qui nous permet de reprendre contact avec la vraie réalité péruvienne qu'on oublie parfois dans la grandre métropole de 8 millions d'habitants.